En arrivant au Gaec Ursule, Marie Schwab m’accueille une perceuse à la main, en train de visser un porte-manteau à l’entrée du bâtiment qui sert de bureau et d’atelier huile. Un franc parler et un franc sourire naturels, elle me tend une paire de bottes : « Viens, on va marcher ».
« Ici, la terre est amoureuse », c’est de l’argile, elle colle aux semelles. Marie est née là, à la ferme à Chantonnay, en 1987, sur la terre où ses parents se sont installés 4 ans plus tôt avec une autre famille. Enfant, Marie est un garçon manqué, elle joue au tracteur pour de faux et dès douze ans, elle sait les conduire pour de vrai. Dans une fratrie de trois sœurs, elle est la seule à « avoir eu la fibre agricole ». Arrivée au lycée, elle assume sa vocation et choisit un Bac S option Ecologie. Elle enchaîne avec un BTS agricole au Lycée Nature à La Roche-sur-Yon, suivi d’une licence en agronomie à Amiens. Le chemin est tout tracé. Elle tombe amoureuse d’un breton échoué en Vendée, Sébastien, et se rêve conseillère en agriculture bio. Ce qu’elle réalise en travaillant au Groupement d’Agriculteurs Bio de Vendée (GAB 85), un poste de « défricheuse » où tout est à construire. De 2008 à 2013, elle accompagne les projets d’installation et suit les exploitations en conversion, avant de reprendre la place de sa mère dans le Gaec familial en 2013, avec Sébastien et Sylvain, « un copain du coin qui a fait sa place ».
Marie m’emmène visiter les terres du Gaec : du bocage, des paysages vivants, des vaches. Ici des haies pour abriter la micro-faune ; là des arbres pour la fraîcheur de l’ombre, l’été. Le Gaec a intégré la biodiversité dans la gestion agricole : mélanger les espèces et les variétés pour créer de la diversité et de la résilience, rénover des mares naturelles, laisser de la place à l’orchidée sauvage. Au bord du pré, quelques ruches. Entre deux champs, des chemins recréés pour les vaches sont désormais empruntés par les cyclistes et les randonneurs. Chez eux, on « prend soin » des animaux, des paysages, des gens, de l’impact sur les milieux. Transformer les paysages anthropisés depuis plusieurs générations, où la main de l’homme est visible, panser les plaies du remembrement, les régénérer, c’est une histoire qui prend du temps.
Tout comme pour la transmission, le rapport au temps est primordial. Conjuguer le présent et le futur, voir loin, parier sur l’avenir et vivre le temps présent, celui de la météo, des graines semées, des plants qui poussent, des récoltes. Les parents de Marie, Jacques et Pierrette Morineau, ont eu le souci de la transmission très tôt, transition qui s’est faite en douceur ; les cédants ont laissé le champ libre à la relève, fière de pouvoir s’appuyer sur des fondations et des engagements intacts. Les nouveaux, qui ne l’étaient pas tant, ont choisi de moderniser un peu les installations, de remplacer les vaches Prim’Holstein, les noires et blanches très productives, par des Jersiaises, une race plus rustique et plus adaptée au système local, donnant moins de lait mais plus riche en matière grasse. Et tester des pratiques novatrices : la génération de Marie, Sylvain et Sébastien se sert volontiers des nouvelles technologies, avec conscience : trace GPS pour repérer les semis et affiner le désherbage, salle de traite tournante et plus ergonomique pour prendre davantage soin des vaches, …
Jacques et Pierrette Morineau sont des militants de la première heure, des pionniers de la bio aux champs, et engagés pour son développement au sein des réseaux et des instances représentatives. Pierrette était dans le Bureau du GAB 85, Jacques a participé au GRAPEA (Groupe de Recherche pour une Agriculture Paysanne Econome et Autonome), réseau des CIVAM, et il est aujourd’hui le porte- parole du groupe « Pour une autre PAC » au niveau européen. Au début de leur installation, dans une Vendée rurale versée dans l’agriculture conventionnelle et intensive, ils passaient pour des originaux, à travailler sans intrants et sans importations. Droit dans ses bottes, le Gaec Ursule n’a renié ni ses valeurs, ni ses pratiques, qui ont fait leurs preuves. Aujourd’hui, la bataille culturelle est gagnée, les paysans bio sont socialement reconnus et gagnent leurs médailles à mesure que l’agriculteur conventionnel devient un « agricultueur ». Étrange renversement de situation, où celui qui était auparavant ostracisé devient le modèle à suivre, où l’exploitant agricole, qui nourrissait la France devient « celui qui l’empoisonne ». Pour Marie, cette déconnexion entre les consommateurs et les producteurs vient d’une lente déconnexion à la nature et à la réalité de l’agriculture. Un déficit de connaissance et de pédagogie que le GAEC Ursule tente à sa manière de combler, en invitant des classes à découvrir la ferme, en sensibilisant les écoles aux produits qu’ils confectionnent comme les huiles alimentaires de colza et de tournesol.
Chez les Morineau, on est biberonné à l’autonomie. Une autonomie décisionnelle qui rime avec indépendance : faire ces choix en conscience, en ayant en main toutes les cartes et en ne dépendant pas de coopératives ou de fournisseurs extérieurs. Une autonomie éthique qui se conjugue aussi au niveau alimentaire. Au Gaec Ursule, la totalité de la nourriture des animaux est produite sur place, et non importée. Marie m’explique : système pâturant, trèfle, graminées, tourteaux de colza et tournesol, protéines, respect de la physiologie de l’animal. Elle a gardé ça de son passage au GAB 85, la pédagogie et la didactique, l’art des explications au grand air.
Une autonomie de gestion qui passe aussi par la distribution : le lait du Gaec Ursule est vendu à une association d’éleveurs nationaux bio, Biolait, qui décident ensemble du prix du lait et développent une filière équitable et transparente. Et les céréales produits à la ferme sont vendus à des agriculteurs du coin sans intermédiaire.
L’autonomie se vit aussi dans la gouvernance et le management. Faire attention aux humains, prendre des décisions à plusieurs, aller vers plus d’horizontalité et de transparence. Jouer la carte de la confiance est une nécessité quand on travaille en collectif.
Aujourd’hui, ils sont quatre associés dans le GAEC. Sylvain porte la responsabilité des vaches laitières (soit un troupeau d’une centaine de vaches laitières) ; Sébastien supervise les volailles et les céréales ; Marie assure les fonctions administratives, les ressources humaines ainsi que l’atelier de transformation de l’huile, depuis le pressage jusqu’à la commercialisation (20 000 litres d’huile alimentaire par an). Jacques Morineau, encore associé, va bientôt partir en retraite. Au quotidien, on trouve aussi Pauline qui gère la traite et l’huile, Baptiste spécialiste de l’agronomie et de la mécanique agricole, Florian, polyvalent. En tout, une équipe de huit personnes à faire avancer ensemble, et des saisonniers et apprentis qui apportent leur aide tout au long de l’année.
L’avantage du collectif, c’est de permettre de partager la décision, de gérer la prise de risque ensemble, de porter la responsabilité à plusieurs. Gérer une exploitation comme la ferme Ursule est une entreprise à part entière, une organisation avec une quantité de décisions à prendre au quotidien, qui sont des choix stratégiques à court, moyen et long terme. « Un métier avec plein de métiers », où l’on ne compte pas ses heures. Même si le travail à plusieurs permet de se libérer du temps pour obtenir une rotation les week-ends et même avoir quelques jours de vacances.
Malgré la charge de travail et les responsabilités, il y a chez Marie une sorte d’évidence : « l’impression d’être au bon endroit », d’avoir trouvé son pourquoi-du-comment personnel. Une place que la jeune femme revendique comme une qualité de vie et un engagement essentiels. Elle l’assure, les femmes ont autant l’opportunité de s’épanouir dans le milieu agricole que les hommes. Et leurs deux enfants, Evan et Maël, grandissent eux aussi au grand air, au contact des animaux et de la nature. L’aîné est passionné par le métier depuis tout petit et le deuxième sait reconnaître les différents miels et se rêve déjà apiculteur. A la ferme Ursule, la relève est assurée !