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Avec les arbres, Ernst Zürcher nous plonge au cœur du vivant entre visible et invisible

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Ingénieur forestier, Ernst Zürcher est aussi docteur en sciences naturelles, professeur émérite, chercheur en sciences du bois à la Haute École spécialisée de Berne et chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Il a fait l’objet ou est à l’origine de plusieurs documentaires et films dont La puissance de l’arbre (Museo). Pour mieux comprendre « Les arbres entre visible et invisible », titre de son 1er ouvrage, notre média a eu le privilège de le questionner.

Comment êtes-vous entré en lien avec l’arbre et la forêt ?

Le milieu dans lequel on grandit joue un très grand rôle. Pour moi ce fut les hauts de Lausanne, dans le Jorat, une région très boisée. Ce paysage forestier complété de bocages fait de haies et de zones humides était très riche en biodiversité. On y jouait aux indiens et étions extrêmement liés à cette nature que nous connaissions dans tous ces recoins.

Que pourriez-vous nous dire des arbres et des forêts que nous ne voyons pas avec nos yeux ?

Si nous trouvons les mots pour décrire le visible, ce n’est pas toujours le cas pour exprimer ce que l’on ressent. Assez jeune, il était clair pour moi qu’il y avait bien plus que les arbres. Les champignons, les mousses et l’aspect mystérieux des vieux arbres captaient mon attention. Par la suite, j’ai suivi un parcours scientifique et dans la recherche. L’un de mes enseignants, à l’époque mon maître de thèse, m’avait parlé des proportions et géométries particulières comme le nombre d’or et la suite de Fibonacci qui traversent tout le vivant et en particulier le végétal. Je côtoyais aussi les anciens du village, dont mon grand-père, qui pratiquaient une agriculture très en lien avec de vieilles traditions, plus particulièrement celtique, tenant compte de l’influence des astres. Durant toutes mes années d’études et de recherches, j’ai ainsi toujours été très attentif aux éventuels liens entre la physiologie des arbres et les influences lunaires. Et ce qui m’a étonné, c’est qu’il n’y avait rien en termes de recherche. La science avait entièrement laissé de côté ce sujet, alors qu’il était fondamental pour les civilisations passées. J’ai donc ajouté des volets de recherches sur ses aspects dans mes travaux scientifiques plus conventionnels.

Peut-on parler d’intelligence du vivant et des forêts ?

En sciences forestières on parle de sociologie végétale. Les associations des plantes ne sont pas le fruit du hasard. Elles poussent ensemble. On découvre désormais comment cela se passe en souterrain avec le réseau de mycorhizes, les échanges et la transmission des substances entre les différentes espèces, permettant notamment la communication entre les arbres. On découvre aussi que les arbres et les plantes communiquent par émissions gazeuses. Les végétaux peuvent signaler la présence d’un herbivore dans la zone en modifiant l’appétence de leurs feuilles. L'animal ou l’insecte est alors obligé sans arrêt de se déplacer. Même la mastication des chenilles est ressentie, localisée et identifiée par les plantes. On peut parler de notion de coévolution entre le végétal et l’animal. Par exemple, les bovins et les mammifères sont nourris par les plantes (carbone, hydrogène et oxygène) qui leur donnent en retour leurs déjections riches en azote. Par l’acoustique, même le chant des oiseaux et le bourdonnement des insectes influent sur la croissance des plantes. Les arbres sont électriquement actifs et peuvent communiquer comme cela également. On peut voir ça sous forme de flux de communication entre animaux, champignons, plantes, arbres, insectes… . Tout le vivant semble émettre un champ électromagnétique qui interagit. Avant, il était difficile de publier des travaux sur ces sujets. Aujourd’hui ce sont des revues scientifiques à comité de lecture qui me sollicitent. Cela montre que la recherche évolue sur tous ces aspects moins visibles.

En quoi et pourquoi selon vous, les arbres peuvent aider à régénérer les hommes et les territoires ?

Il faut se demander à quoi ressemblait nos paysages tel que le voulait la nature dans son fonctionnement non influencé par l’homme. C’était boisé à 80 %. En Vendée, il y a un phénomène intéressant, c’est que lorsque l’on transforme un paysage forestier en un paysage bocager, on se rend compte que la diversité en espèces augmente. C’est dû au fait que la trame et délimitations du bocage est constituée de végétation sauvage. C’est une structuration fine du paysage, avec des parcours sinueux, des versants et des lisières favorables à des niches écologiques. Il faudrait converser ces apports précieux du bocage et y associer des noyaux de forêts faits d’associations d’essences en régénération naturelle plutôt qu’en plantations. Cela redonnera de la force au système naturel. On suggère qu’à tous les échelons du territoire, au niveau régional et local, on est un maillage suffisant entre le sauvage et le cultivé. Notre ordre de grandeur c’est 30 % de forêts qui sont elles-mêmes reliées par certains endroits, et qui sont complétées par une trame bocagère. Pour la gestion de ces forêts du futur c’est la SMCC (Sylviculture Mélangée en Couvert Continu*) qui est intéressante. Elle permet d’éviter les coupes rases, de manière à protéger les territoires contre le soleil qui devient de plus en plus fort à certains moments de l’année. C’est une nécessité pour maintenir les sols forestiers au frais. Au sein de ces forêts suffisantes et gérées, on peut produire du bois avec tous les apports écosystémiques complémentaires, mais aussi préserver des noyaux plus sanctuarisés où l’homme n’intervient pas. Ces espaces deviendraient des forêts primaires locales où les arbres ont un parcours de vie naturel. Nous pourrions ainsi observer ce qui s’y passe, pas pour y récolter du bois mais plutôt des enseignements et nous ressourcer.

Est-ce une dimension plus sacrée à l’arbre, à l’image des peuples racines, que nous sommes invités à retrouver ?

Tout à fait. À ce sujet j’ai rencontré une jeune anthropologue forestière qui mène un projet sur les arbres liens, arbres mère ou encore arbres mémoire. L’idée est que les propriétaires forestiers invitent la population locale : ceux qui vont se ressourcer en forêt, les promeneurs, les agroforestiers, à venir désigner les arbres qui comptent pour eux. Les arbres près desquels on s’arrête. Souvent leur forme n’est pas parfaite. Un pacte s’établit et engage le forestier à ne jamais couper cet arbre. L’idée est d’avoir 1 tel arbre par hectare, ce qui n’impacte pas la récolte de bois du forestier, et ce qui peut rétablir un rapport social à la forêt. Ces arbres sanctuarisés vont, au fil des générations, devenir des arbres sacrés et porteurs de mémoires.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le lien entre les forêts et le cycle de l’eau ?

On se rend compte que partout où il y a des forêts, il pleut plus. Cela provient du fait que les arbres captent les précipitations et les restituent sous différentes formes. D’abord sous forme d'évapotranspiration au travers du phénomène de la photosynthèse. Cela va constituer des nuages, des microparticules qui provoquent des pluies. Une autre partie va se diffuser dans le sous-sol, alimenter les nappes phréatiques, les sources et les rivières. Cette eau est parfaitement pure car elle est filtrée par le système de mycorhizes. On peut dire que la forêt est une banque hydrologique locale avec un impact direct sur le climat et l’agriculture locale. C’est pourquoi dans le paysage bocager, les réserves d’eau sont toutes proches car assurées par les arbres.

Quel regard portez-vous sur la période que nous traversons en tant qu’humanité ?

De manière lucide, je dirais que les choses sont compliquées et ne vont pas en s’apaisant. C’est une période de turbulences qui est en train de s’annoncer. C’est d’ailleurs déjà le cas pour beaucoup et cela peut s’intensifier car c’est la fin d’un modèle qui n’est pas viable sur le long terme. Je me rends compte que beaucoup de personnes que je rencontre savent dans quelle direction nous devrions aller et sont prêtes à s’investir. C’est ça qui me donne confiance.

Découvrez l'article "Ernst Zurcher, les arbres entre visible et invisible" dans le Journal des initiatives positives n°21 (S'abonner en cliquant ici !)


 
Demain-Vendée
Demain-Vendée
25 Mar 2024

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